Les gâteaux de lune donnent saveur à la fête, et portent un riche héritage historique.
Des lunes à croquer.
Pour beaucoup de Chinois, l'ère de la conquête de l'espace n'a rien enlevé du halo de mystère qui entoure la lune. Sur sa surface lumineuse, se mire toujours une belle dame des temps jadis, ses manches et ses voiles flottant à la brise. Et les enfants qui regardent la lune y voient toujours un lapin décortiquant du riz sous un saule.
Douée d'une force surnaturelle, la lune en Occident inspire le romantisme net le ... lunatisme. En Orient aussi, on lui attribue des pouvoirs particuliers. Certains disent que celui qui montre la lune du doigt verra ses oreilles tomber. Dans les deux traditions, la lune régit les forces des domaines infernaux. La pleine lune, pendant la fête des démons, attire les esprits des mondes inférieurs pour leur faire partager quelque temps l'hospitalité du monde terrestre.
Dans la poésie, tant orientale qu'occidentale, la lune recueille souvent les plaintes désespérées des hommes. Ce joyau froid est à la fois le spectateur impavide et l'objet inaccessible des aspirations humaines. Un poète de la dynastie Tang, Li Po (李白) en apprit la fatale leçon quand il tenta d'«atteindre la lune».
Ce poète à l'imagination fameuse qui aimait à boire en la seule compagnie de la lune, rencontra sa mort un soir qu'il avait trop vidé de coupes à l'intention de son impénétrable compagne. Cherchant à en surprendre l'image reflétée dans une rivière, il se noya.
La lune d'automne, liée à la moisson, est un symbole de gratitude et l'annonce de réjouissances. A Taïwan, le 15e jour de la huitième lune, de -Automne est marquée par des réunions de famille où l'on va ensemble contempler la lune et par la fabrication d'une pâtisserie: les «gâteaux de lune».
Les moules sont presque des oeuvres d'art, des sculptures en creux.
Ronds comme la pleine lune et fourrés de viande émincée, de fruits ou de noix et amandes diverses, ces gâteaux sont comme un symbole d'unité. La coutume veut que les gâteaux soient partagés entre les membres de la famille et mangés en commun. Dans sa forme et son usage, le gâteau représente la réunion. Issue probablement d'habitudes anciennes, quand les enfants retour naient à la ferme familiale pour aider à la moisson, quand les laboureurs saluaient en l'automne le répit des labeurs de l'été et quand la campagne toute entière se réjouissait de l'abondance des greniers garnis, de reste aujourd'hui le moment de la détente et de la chaleur familiale.
Les préparatifs ont leur centre dans les pâtisseries de l'île. Pendant tout le mois de septembre (qui correspond à peu près à la huitième lune chinoise), on achète des gâteaux de lune pour les apporter â sa famille ou les offrir â ses amis. Pour avoir un aperçu de ces préparatifs, il suffit de voir une de ces pâtisseries quand ces gâteaux lourds et rebondis ont commencé à remplacer les tartelles et autres gênoises aux étalages des magasins. En particulier ceux de la pâtisserie Pou-I, sur l'avenue Chin-cheng (Hsin-sheng), dont la fidélité exceptionnelle aux formes et à la qualité ancestrales lui ont valu une réputation inégalée.
La pâtisserie Pou-I, qui couvre aujourd'hui trois étages, a été fondée il y a plus de quarante ans à Hankeou, dans la province du Houpeh, puis se replia à Taïpei. En septembre, elle devient une gigantesque fabrique de gâteaux de lune, ses vastes cuisines remplies de patissiers en uniforme amidonné pétrissant la pâte et préparant les farces. Parmi les treize différentes variétés de farce, la prune douce est la plus appréciée. Avec l'ananas, la noix de coco, les cinq graines (lotus, sésame, pastèque, noix et amande), le jaune d'oeuf, les haricots rouges, l'éventail est assez large pour satisfaire tous les palais. Et pour ceux qui préfèrent le salé, il y a aussi les viandes et les graines de sésame.
Avec une équipe de trente membres, la pâtisserie Pou-I cuit ses deux mille petites lunes par jour. Mais l'effectif est doublé dix jours avant les fêtes pour satisfaire une demande qui monte en flèche. Les gâteaux sont sortis des moules, badigeonnés à l'oeuf et placés dans un four où les caractères inscrits sur certains se gonflent pour apparaître en relief. Les plus petits, qui pèsent de 150 à 200 grammes la pièce et portent l'indication de leur farce, sont de deux types: l'un, celui de Canton, a une croûte épaisse de pâte sablée, l'autre, celui de Sou-tcheou, est enveloppé de pâte feuilletée et marqué d'un sceau rouge. Traditionnellement, chaque région de Chine a son type de gâteaux, mais les deux précédents sont aujourd'hui les plus courants dans l'île. D'une manière générale, au Nord, on préfère ceux de Canton et, au Sud, ceux de Sou-tcheou. Quoi qu'il en soit, tous se ven dent comme des petits pains et un flot continu de clients déleste rapidement les étagères de leur fardeau.
Les gâteaux contiennent une grande variété de farces, et les clients se trouvent parfois devant un choix difficile.
La silhouette de Tchang-O, la belle dame exilée dans son palais lunaire apparaît sur les plus gros des gâteaux de lune. Fourrés de cent grammes de farce et désignés du nom de «Fortune de toute la famille», de tels gâteaux sont destinés aux très larges ou très gourmandes maisonnées. Il est naturel que Tchang-O revienne sur un gâteau de lune, c'est une manière de reconnaissance pour son sacrifice en faveur du peuple chinois. Comme le raconte la légende, elle sauva ses compatriotes de l'esclavage perpétuel en subtilisant l'élixir d'éternité donné à son tyran d'époux. Avalant elle-même la pilule d'éternelle jouvence, elle fut transportée sur la lune, apportant au monde l'espoir d'un futur meilleur et ajoutant sa grâce à l'astre de la nuit. Mais surtout, vers la fin de la dynastie Yuan (1280-1368), la lune devint le symbole de l'unité de tous les Han, Chinois par la race, qui mirent fin à la domination mongole.
L'histoire du gâteau de lune relate que le peuple Han à l'époque souffrait du terrible fardeau des impôts et de traitements iniques que lui infligeaient les Tartares. Les habitants de la petite ville de Tchong-yi, qui en avaient assez de l'humiliation et de la pauvreté se révoltèrent un jour que les Mongols profanèrent leurs autels et leurs biens familiaux. Une émeute qui s'ensuivit aurait été réprimée par la mort des coupables ou bien leur condamnation à avoir la langue coupée, si le peuple ne s'était tout entier soulevé.
Comment les Han coordinèrent-ils leur révolution? Ils imaginèrent le stratagème d'utiliser ces gâteaux de lune apparemment anodins comme des messagers capables de déjouer la distance et la sur veillance. Partout dans le pays, à mesure que la fête de approchait, ces gâteaux portèrent cachés des messages révolutionnaires: « La veille de de , renversons les Tartares!» Et les Chinois, en quelques mois, regagnèrent le contrôle du pays. Dans l'histoire de , si féconde en invasions, conquêtes et soumissions aux régimes tyranniques, le gâteau de lune reste le symbole de l'unité nationale ■